Ce qui nous observait à disparut. Partit. Je suis plutôt sceptique et cela me rend plutôt nerveux. Je cherche vaguement à l'ouïe où peut être cette chose, mais je n'arrive pas à la trouver avec tout ce bruit qui règne aux alentours. Je suis tendu. Au niveau de l'odeur, toujours rien.

"Quelque chose ne va pas ?"

La jeune fille me ramène dans le présent. Si quelque chose ne va pas ? Hum, je dirais... À peu près tout ? Ma sœur a disparue, kidnappée par mon père fou. Je suis dans un internat au lieu de chercher à la retrouver, deux ans après sa disparition. Je viens de passer proche de faire une crise de claustrophobie et de laisser mon double attaquer des gens. Mais sinon, tout baigne !

"Y'a bien des choses qui ne vont pas...", soupirais-je.

[[HRP Désolé, c'est plutôt court...]

L'éclair de tristesse qui illumine les yeux de la fille m'irrite. Je n'ai pas besoin de la pitié ou de la compassion de qui que ce soit. Bien heureusement, le réconfort et la chaleur remplace la pitié ; ce n'est pas bien plus agréable, mais c'est déjà mieux. Le réconfort... Je n'ai pas besoin d'être réconforté, je veux seulement retrouver ma sœur...

"Je ne sais pas ce qui se passe, mais tu sais, bien des personnes qui se trouvent sur cette île ont un passé douloureux....... Généralement c'est parce qu'ils sont différents des autres humains. Donc tu vois, ces personnes dans le hall, je suis certaine que la moitié souffre comme toi intérieurement. Tu n'es pas seul."

Le fin de son discours se fait un peu attendre, mais dans l'ensemble, elle s'exprime clairement et presque vivement. Je soupire un peu sèchement, je le sais bien. Je sais que je ne suis pas la seule âme malheureuse sur Terre ; je sais aussi que bien des gens sont plus malheureux que moi. Je ne suis pas seul. Mais, en fait, si. Mon père veut tuer ma petite sœur et l'a d'ailleurs enlevée. Il me hait. Ma mère est morte. Et je n'ai jamais eu d'ami.

"Je ne.. Je sais que je ne suis pas le seul à souffrir sur Terre et même ici. Oh, et pour être différents des autres humains, il faudrait déjà que toutes ces personnes soient humaines, je ne crois pas en avoir sentit une seule."

Des humains... Quelle horreur. Je n'aime peut-être pas les monstres, comme elle dit, mais les humains sont pires encore. Les humains sont vicieux ; non content de s'entre-déchirer, ils affectionnent particulièrement faire du mal aux autres espèces ; j'ai vu à quoi ressemble la vie des animaux qu'ils mangent. D'abord empaquetés dans des cages si petites qu'ils peinent à faire le moindre mouvement. Les plus grosses bêtes sont enfermées dans de grands enclos, collées les une contre les autres, pouvant à peine bouger. Ils sont gavés de force, jusqu'au jour où ils seront menés à l’abattoir, ou jusqu'à ce que mort s'en suive. Finalement, l'abattoir. J'ai vu de pauvres vaches, ces animaux aux yeux si innocents, pendues par les pattes arrières, la gorge ouverte, souffrant, meuglant, durant des dizaines de minutes avant de mourir. J'ai vu des cochons, ces bêtes si intelligentes, hurler de terreur, sachant parfaitement où on les emmenait. D'ailleurs, plusieurs ne survivent pas au voyage jusqu'à l'abattoir, puisqu'ils n'ont ni eau ni nourriture. Je ne tue que ce que je mange et je ne fais jamais souffrir mes proies inutilement.

Je ne considère pas les autres comme des monstres. En fait, oui. Sauf que je ne considère pas le fait d'être un monstre comme étant une mauvaise chose. Je suis un monstre. Et alors ? La raison pour laquelle je n'aime pas les autres, ce n'est pas à cause de leur nature, c'est simplement que je n'aime pas vivre en société. Je n'ai confiance en personne et je n'aime personne. Sauf ma sœur. Et ma mère, mais, elle, elle est morte. La vie m'a prouvée que je ne peux avoir confiance en quiconque.

Je n'aime pas trop être accusé de chose que je n'ai pas dit ou fait. La manière dont elle a prononcé sa phrase m'hérisse le poil. Je ne me sens pas supérieur à qui que ce soit. Je ne dis pas que mon existence est meilleure qu'une autre. Je ne dis pas que mon mode de vie est mieux qu'un autre. Et pourtant, elle l'insinue. Un grondement rauque m'échappe ;  je le sens rouler sous ma poitrine, agressif. Je montre les crocs, plutôt mécontent. J'entends Emeryck qui ronronne de plaisir, tentant de m'inciter à tuer. Je suis peut-être fâché, mais pas au point d'écouter Em'.

"Et tu insinue quoi là ? Être un monstre, comme tu dis, n'est pas une mauvaise chose. C'est déjà mieux que d'être humain, grondais-je.

D’abord, je suis profondément surprit. Surprit qu’une… autre soit aussi éprise des humains. Surprit par la véhémence et la haine qui suinte de tous ses pores et même de ces mots qu’elle me crache au visage. Sur le coup, je ne suis même pas furieux ou en colère, seulement vraiment surprit. J’ai recouvert mes crocs et mon grondement s’est arrêté. J’aurais dédramatisé le tout calmement, je me serais même probablement excusé si elle n’avait pas fait ce qu’elle a fait. J’ai vu la gifle partir, je l’ai entendu claquer, puis j’ai senti la douleur. Je ne l’ai pas arrêté –parce que j’aurais pu –parce que je ne croyais pas qu’elle le ferait réellement. Il faut vraiment être idiot pour lever la main sur quelqu’un comme moi, quelqu’un d’instable. Parce qu’elle doit s’en douter, je lui ai grondé dessus, lui ai montré les crocs, pour une simple dispute. Il ne faut pas être Einstein pour se douter que je n’ai pas un très bon contrôle. Enfin, c’est surtout que, la majorité du temps, c’est Emeryck qui me le bouffe, mon contrôle. À devoir le retenir constamment, c’est difficile de me concentrer sur autre chose. Mon double est probablement le pire qui soit sur cette misérable planète. Et pourquoi je parle de lui maintenant ? Parce quand elle m’a giflé, la rage qui m’a envahi a été telle qu’Emeryck à pu s’échapper de la cage mentale dans laquelle il est normalement enfermé. C’est lui qui est au contrôle.

Elle m’a frappé, frappé, frappé.
Je vais la tuer, la tuer, la tuer.
Je laisse échapper un puissant rugissement qui, pour la première fois depuis bien longtemps, résonne haut et fort dans le silence qui règne. Mes yeux sont aussi rouges que les rubis, d’une teinte semblable à celle du sang fraîchement versé.
Du sang, du sang, du sang.
Mes immenses crocs de panthère m’empêchent de fermer la bouche complètement, mais ils seront utiles pour la dépecer. Ils seront parfaits pour arracher son cœur encore battant de sa poitrine et le dévorer.
La manger, la manger, la manger.
Je le sens, l’autre, il tente de me renvoyer dans la cage invisible qui me retient prisonnier dans ce corps qui est aussi le mien. Mais lui aussi est furieux qu’elle nous ait frappé… Il ne regrettera pas que je la tues, n’est-ce pas ?
La tuer, la tuer, la tuer.
J’halète fortement, excité par le battement de son cœur, par la promesse d’une proie des plus délicieuses… Et j’avance d’un pas.
Douleur, douleur, douleur.
L’autre  me fait mal. C’est comme s’il cognait contre l’intérieur de ma tête, mais avec des griffes. C’est comme s’il me poignardait l’intérieur du crâne en hurlant, à répétition. Sans un son, je tombe sur mes genoux, la tête entre mes mains aux griffes acérées.
Mal, mal, mal.
Je tente de bouger une main, mais je n’y arrive pas. Non. Non, non, non, non !
NON !

Pénible retour au contrôle. Et merde. Je hais cette saleté de double démoniaque et psychopathe ! Je laisse tomber mes mains sur mes cuisses, le souffle encore court d’avoir du lutter contre Emeryck. Au moins, cette fois, il n’a pas eu le temps de tuer qui que ce soit. Oh, merde. Elle m’a vu, elle l’a vu. Une personne normale se sentirait mal à l’aise, timide ou je ne sais quoi d’autre dans la même palette d’émotion, mais, chez moi, faiblesse équivaut à colère. Je déteste que les gens me voient dans une situation ou je suis impuissant ou blessé, ça m’enrage encore plus que la faiblesse elle-même. Et on a bien vu ce que la colère cause chez moi.

Je garde les yeux baissés sur mes mains, sachant pertinement que ma rage ne ferait qu’augmenter si je la regardais m’observer, peu importe comment elle le prend. D’abord, la peur est la pire chose à montrer à un prédateur, ça ne fait que l’exiter davantage. Ensuite, je ne veux de la pitié de personne, personne. Et si je devais voir ne serait-ce qu’une once de suffisance dans son regard… Disons qu’Emeryck ne serait pas celui qui aurait les mains tâchées de sang –même si, a priori, nous avons les mêmes mains.

Il est tout de même hors de question que je m’excuse ; c’est elle qui m’a frappé ! Moi, je me suis contenté d’empêcher une créature sanguinaire de la tuer. En fait, elle devrait s’excuser. Et me remercier. Je crois que, si elle me demande de m’excuser, je laisse Emeryck sortir, juste pour bien lui faire comprendre –pour le peu de temps qui lui restera à vivre –à quel point elle m’en doit une.